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Portraits de Deirdra Joseph, Nicole Cummings-Morgan and Tonja Armstrong-MacInnis. Au-dessus, on lit : Célébrons l’histoire des Noirs
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Célébrons l’histoire des Noirs par la réflexion et l’action

Le Mois de l’histoire des Noirs est l’occasion de reconnaître et de célébrer les Noirs au Canada et dans le monde entier. C’est aussi l’occasion d’aborder le racisme systémique anti-Noirs, hérité du colonialisme, qui continue d’affecter les communautés noires aujourd’hui. Certaines de ces conversations nous incitent à réfléchir et à agir pour combattre les inégalités raciales et les disparités économiques qui touchent les familles et les enfants noirs.

Nous nous sommes entretenus avec les EPEI Tonja Armstrong-MacInnis, Deirdra Joseph et Nicole Cummings-Morgan, qui codirigent la Communauté des EPE noirs (traduction libre), un collectif de soins de l’Association of Early Childhood Educators of Ontario (AECEO). La Communauté des EPE noirs offre un espace où les EPEI noir(e)s peuvent se réunir pour partager leurs histoires, leurs idées et leurs ressources.

Des extraits de cette conversation figurent ci-dessous, et d’autres seront publiés dans les prochains numéros de Connexions.

Comment le racisme anti-Noirs se manifeste-t-il dans l’éducation de la petite enfance? Quelles en sont les conséquences pour les enfants noirs?

Tonja : Il se manifeste par le fait que les personnes sur le terrain ne reconnaissent pas leurs propres préjugés envers les Noirs, leurs familles et leurs enfants. Il se traduit par des microagressions* et l’emploi de mots ou de phrases blessantes, susceptibles de déclencher des réactions vives et de raviver des traumatismes passés au sein d’une communauté qui est censée prendre soin de ceux qui l’entourent.

Le racisme anti-Noirs se manifeste notamment par une absence de représentation dans le monde qui nous entoure et par des limitations à nos choix de vie. Je me souviens, par exemple, qu’on a découragé mon fils de s’inscrire aux cours de mathématiques avancées lorsqu’il choisissait ses options pour l’école secondaire. J’ai dû intervenir pour lui dire qu’il ne devait pas se limiter lui-même ni restreindre ses possibilités pour l’avenir.

Les enfants peuvent manquer de modèles ou d’éducateurs qui encouragent un développement sain. Par conséquent, ils ne perçoivent pas toujours de choix possibles dans leur environnement d’apprentissage, dans le matériel ou les ressources utilisées, ni de possibilités de parcours professionnels – devenir médecin, avocat, éducateur, ou même vivre une vie différente de celle dans laquelle ils ont grandi. Il s’agit de rêver grand et de croire que l’on peut devenir ce que l’on veut être! Cela peut signifier que d’autres vous élèvent et croient en vous jusqu’à ce que vous n’ayez plus besoin de ce soutien – et à votre tour, vous pouvez faire de même pour d’autres. Ainsi, vous participez à un cycle positif de croissance et de grandeur.

« Les microagressions* sont les vexations, indignités et insultes quotidiennes commises à l’encontre de groupes marginalisés en raison de leur appartenance à ces groupes. »  (Professor Derald Sue – Embrace Race. Disponible en anglais seulement)

Vous codirigez la Communauté des EPE noirs. Qu’est-ce qui vous a amené à créer un groupe réservé aux EPEI noirs? À quel besoin ce collectif répond-il? Quelles sont les réussites du groupe jusqu’à présent?

Nicole :

La création de cette communauté a été motivée à la fois par les événements mondiaux et par les changements en cours au sein de l’AECEO. En 2020, lors de l’assassinat de George Floyd, je faisais partie du conseil d’administration de l’AECEO. Bien que l’organisme envisageait de mettre en place un comité, j’ai pensé que nous devions aller plus loin. Et nous avons décidé d’en faire plus. La création d’un groupe, plutôt que d’un simple comité, m’a semblé plus intentionnelle et porteuse de sens. J’ai contacté mes collègues EPE noires, et elles étaient prêtes à m’aider. J’ai organisé la première réunion virtuelle en juillet 2020, créé un groupe WhatsApp, et notre nombre est passé de 6 à 30 membres en l’espace de 30 jours. Nous avons également organisé une rencontre en ligne intitulée Confronting Anti-Black Racism in Early Childhood Education (Lutter contre le racisme anti-Noirs dans l’éducation de la petite enfance), dont j’ai assuré la modération.

La conférence a rassemblé des éducatrices et éducateurs noirs très influents, comme Bernice Cipparrone-McLeod, Evelyn Kissi et la Dre Fikile Nxumalo, partageant des réflexions et des informations jusque-là rarement abordées dans ce type de forum – un webinaire public où chacun était à l’écoute. Un public diversifié à l’écoute des EPE noirs et de nos histoires. Le groupe a abordé des sujets tels que les pratiques inclusives et équitables, l’éducation environnementale, les effets du colonialisme dans les milieux d’apprentissage de la petite enfance, ainsi que l’intersection entre les handicaps et les réalités critiques des personnes noires.

Nous avons collaboré avec un illustrateur et un graphiste noirs pour concevoir le logo de notre groupe. Cette démarche nous a permis de nous approprier pleinement notre identité et d’être en phase avec notre vision : celle d’un collectif autodéterminé. Nous contribuons chaque jour à l’engagement de l’AECEO dans la lutte contre le racisme anti-Noirs. Nous avons participé à des réunions avec le ministère, collaboré activement avec le Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, et tissé des liens avec d’autres organisations pour lutter contre le racisme anti-Noirs. Nous sommes passés à l’action.

La plus grande réussite de notre groupe réside dans la conviction que ce collectif de soins répond au besoin des EPEI noirs de tout l’Ontario. De nombreux membres ont exprimé à quel point cette communauté de pratique est importante pour eux. Ils nous ont confié que c’est le seul espace où ils peuvent s’exprimer librement sur leurs expériences en tant qu’EPEI noirs dans leur milieu professionnel. Notre réussite réside aussi dans les liens solides que nous avons tissés grâce à nos points communs.

Deirdra : J’ai rejoint le groupe après qu’un ami m’a parlé de la communauté. J’ai commencé à participer aux réunions en pleine pandémie de COVID-19. Cela a été d’une grande aide pour moi, car je venais de perdre mon emploi et le meurtre de George Floyd était au cœur de l’actualité. Je n’avais aucun soutien ni aucune communauté vers laquelle me tourner, à l’exception de la Communauté des EPE noirs. Le soutien de personnes qui vivaient des expériences similaires aux miennes m’a aidée à me sentir moins seule. Ce groupe m’a également offert un espace sûr où je pouvais exprimer librement ma colère, mes frustrations et mes inquiétudes, sans avoir à justifier ou expliquer les raisons de mes émotions. La communauté m’a également encouragée et motivée, renforçant ainsi ma décision de retourner à l’école pour perfectionner mes compétences.

Cette communauté continue d’évoluer et de jouer des rôles variés pour les EPEI noirs. Aujourd’hui, nous offrons à des éducateurs noirs issus de divers horizons l’opportunité d’animer des ateliers ouverts à tous, destinés à ceux qui souhaitent apprendre ou cherchent de nouvelles idées pour mieux soutenir les enfants et les familles au sein de leur communauté.

Le racisme anti-Noirs peut se manifester de manière subtile. Comment un(e) EPEI peut-il reconnaître le racisme anti-Noirs? Et comment peut-il l’affronter dans sa pratique et défendre ses collègues noirs?

Nicole : Tout(e) EPEI peut reconnaître le racisme anti-Noirs en commençant par comprendre de quoi il s’agit. La Black Health Alliance le définit comme « …des politiques et des pratiques ancrées dans les institutions canadiennes, telles que l’éducation, les soins de santé et la justice, qui reflètent et renforcent les croyances, les attitudes, les préjugés, les stéréotypes ou la discrimination à l’égard des personnes d’ascendance noire et africaine » (traduction libre).

Les personnes non noires peuvent soutenir et défendre leurs collègues noirs en prenant le temps de comprendre ce qu’est le racisme anti-Noirs (RAN). Elles peuvent les soutenir et les défendre en renforçant leurs compétences en matière de réflexion et de conscience de soi. Et c’est une aptitude à part entière. Le fait d’être capable de réfléchir sincèrement à ses actions et à ses paroles montre que les EPEI non noirs ont une réelle volonté de faire la différence. Cependant, si les EPEI non noirs ne prennent pas le racisme anti-Noirs au sérieux ou agissent de manière incohérente – pour reprendre une expression caribéenne, notamment lorsque cela les arrange – alors leurs efforts perdent tout leur sens. Je comprends que cela puisse sembler difficile, surtout lorsqu’on ne sait pas quoi dire, mais c’est précisément pour cette raison que faire des recherches, lire, poser des questions et agir avec sincérité peut aider.

Tonja : Les EPEI peuvent réfléchir à leurs préjugés, être honnêtes envers eux-mêmes et s’engager dans un apprentissage professionnel continu en faveur de l’équité, la diversité, l’inclusion et l’appartenance. Ils peuvent analyser les milieux dans lesquels ils travaillent et veiller à ce que les enfants et les familles soient représentés dans le programme. Ils peuvent aller au-delà des approches de type « curriculum touristique » et s’assurer qu’ils disposent de ressources intéressantes pour les enfants noirs.

En tant que personne métisse qui s’identifie comme Noire – en raison de l’évolution de la société et de la manière dont les autres me perçoivent –, je m’efforce de rester consciente et de comprendre que, même si nous partageons une identité commune, nous ne formons pas un groupe homogène. Nous sommes bien plus que la couleur de notre peau, et il est essentiel de prendre le temps et de créer un espace pour écouter, comprendre et apprécier véritablement les liens et les relations humaines.

Deirdra : Les EPEI non noirs doivent être prêts à apprendre, à poser des questions, à participer à des ateliers, à faire leurs propres recherches et à réfléchir à la manière dont ils peuvent, en tant qu’individus, lutter contre le racisme anti-Noirs. Une fois les connaissances acquises, il s’agit de les mettre en pratique. Beaucoup sont capables de reconnaître le racisme, mais c’est au moment de prendre les mesures nécessaires pour s’exprimer ou agir contre celui-ci que le soutien faiblit. Cette inaction permet au cycle de se perpétuer.

** Curriculum touristique : Approche symbolique consistant à partager la nourriture, la musique et les vêtements de certaines cultures à des moments précis de l’année.

Ressources pour les EPEI, préparées par Tonja, Nicole et Deirdra

Des ressources sont à la disposition des EPEI qui souhaitent approfondir leurs connaissances de l’histoire des Noirs et sur le racisme anti-Noirs. La Communauté des EPE noirs a également établi une liste de livres pour enfants que vous pouvez lire aux petits dont vous vous occupez. Ces ouvrages sont conçus pour encourager des discussions enrichissantes sur la diversité, l’inclusion et l’appartenance.

Ce dialogue se poursuivra au-delà du Mois de l’histoire des Noirs. Des articles seront publiés dans les prochains numéros!

BIOGRAPHIES : 

Tonja, lauréate en 2021 du Prix du Premier ministre pour l’excellence en éducation de la petite enfance, possède plus de 30 ans d’expérience à divers postes dans le domaine de l’éducation et de la protection de la petite enfance. Elle a notamment animé de nombreux ateliers intégrant la pédagogie de l’éducation et de la protection de la petite enfance dans une optique d’anti-oppression et antiraciste. Outre son diplôme en éducation de la petite enfance, elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en études de la petite enfance. Elle est directrice du Humber Child Development Centre et responsable de l’unité Every Child Belongs de la Ville de Toronto à Humber, qui se compose de consultants en ressources et d’une infirmière praticienne.

Deirdra a commencé son parcours d’éducatrice de la petite enfance au Collège Seneca. En tant qu’EPEI, elle était souvent en contact avec les enfants à besoins particuliers, notamment ceux atteints d’autisme. Cela l’a amenée à obtenir son certificat d’enseignante-ressource et à terminer le programme sur l’autisme et les sciences du comportement au Collège Seneca. Elle est également titulaire d’une licence en musique. Elle travaille actuellement pour la Ville de Toronto en tant que consultante-ressource.

Nicole est une mentore, une collaboratrice militante qui crée des liens communautaires.  En plus de son titre d’EPEI, elle est également enseignante agréée de l’Ontario, professeure en éducation de la petite enfance, auteure, ainsi que propriétaire et directrice générale de W1derus Educational Workshops Inc. Cette entreprise sociale se consacre à l’organisation d’ateliers personnels et professionnels visant à promouvoir le bien-être holistique des individus à toutes les étapes de leur vie. Nicole est une ancienne membre du conseil d’administration de l’Association of Early Childhood Educators of Ontario et la fondatrice de la Communauté des EPE noirs.

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