L’un des objectifs clés de l’Ordre est de favoriser le développement d’une profession résiliente et durable. Soutenir nos membres et veiller à leur bien-être constitue un aspect fondamental de cet engagement. Dans une profession fondée sur le soin et la bienveillance, les EPEI assument d’importantes responsabilités, plaçant souvent les besoins des autres avant les leurs. La fatigue et l’épuisement professionnel sont donc des préoccupations majeures. De plus, les EPEI issus de groupes en quête d’équité peuvent faire face à des charges émotionnelles et culturelles supplémentaires, souvent mal comprises ou peu prises en compte par les autres.
Dans le cadre de notre série de conversations sur l’histoire et l’excellence des Noirs, nous nous sommes entretenus avec Tonja Armstrong-MacInnis, Deirdra Joseph et Nicole Cummings-Morgan, qui codirigent laCommunauté des EPE noirs (traduction libre), un collectif de soins de l’Association of Early Childhood Educators of Ontario (AECEO). Créée au plus fort de la pandémie, alors que le monde était confronté à l’assassinat de George Floyd, la Communauté des EPE noirs offre un espace où les EPEI noir(e)s peuvent se réunir pour partager leurs histoires, leurs idées et leurs ressources.
Dans cette discussion, nous découvrons l’impact de la fatigue et de l’épuisement professionnel sur le bien-être des EPEI noir(e)s.
Dans une profession confrontée à la fatigue et à l’épuisement, en quoi la charge mentale est-elle différente chez les EPEI noir(e)s, et pourquoi?
Nicole : La fatigue et l’épuisement affectent la santé mentale des EPEI noir(e)s de manière particulière. Beaucoup d’EPEI ne se sentent pas valorisés, sont sous-payés et déçus par un système qui ne reconnaît pas l’importance de services à l’enfance de qualité. Pour les EPEI noir(e)s, cela s’accompagne en plus de sentiments d’exclusion, d’obstacles à l’avancement professionnel et de remarques micro-agressives, que ce soit de la part de collègues, de membres de la famille, et parfois même d’enfants. Je me souviens d’une réunion de la Communauté où une EPEI a partagé cette expérience : un enfant lui a dit d’aller se laver les mains. Elle a alors regardé ses mains pour voir à quoi l’enfant faisait allusion et lui a demandé : « Pourquoi ? Il n’y a rien sur mes mains ». L’enfant a alors montré sa peau et a répondu : « Si, elles sont sales. » Imaginez. Imaginez qu’un enfant de quatre ou cinq ans vous dise cela.
Je me souviens également d’une membre qui nous racontait que les parents d’une école maternelle publique ne déposaient pas leur enfant si l’enseignant caucasien n’était pas présent. Heureusement, l’enseignant était un allié : il a mis fin à cette pratique.
Pour ma part, je me souviens de mes débuts dans le programme de maternelle. La région était majoritairement européenne. L’éducateur traitait les enfants d’une manière qui allait à l’encontre de tout ce que j’avais appris dans le Code de déontologie et normes d’exercice, le Comment apprend-on? et l’ELECT (en anglais seulement) et bien d’autres ressources encore. Je me souviens m’être sentie si mal à l’aise de ne pas pouvoir faire plus pour les défendre parce que j’étais la seule éducatrice noire dans cet espace. Et croyez-le ou non, le fait d’être la seule éducatrice noire me donnait un sentiment d’impuissance. J’avais l’impression de n’avoir personne à qui parler. Je me sentais isolée. Quand j’ai finalement osé exprimer ce que je ressentais, mon superviseur a commencé à me maltraiter. Voilà pour la petite histoire. Disons simplement qu’à ce jour, si je devais revoir cette personne, mon corps réagirait encore au traumatisme lié à cette expérience. Mais en tant que personne de foi, j’ai été bénie : ma prière a été exaucée et j’ai été mutée sur un nouveau lieu de travail.
« Ainsi, lorsque les EPEI non noir(e)s expriment les difficultés liées à la profession, nous pouvons les comprendre, compatir avec eux et même ressentir un profond sentiment de solidarité, car nous souffrons tous dans une profession que nous aimons.
Cependant, bien que nous fassions face à de nombreux défis communs, notamment le manque de reconnaissance qui touche tous les EPEI, il est essentiel de rappeler que les EPEI noir(e)s et racialisé(e)s portent un fardeau supplémentaire sur le plan de la santé mentale : celui des expériences de racisme et des microagressions, que leurs collègues blancs ne vivent pas. Et non, ce n’est pas une compétition : c’est NOTRE réalité! »
Deirdra : « « Je crois que, pour beaucoup d’EPEI noir(e)s, les stéréotypes, les microagressions et l’incompréhension culturelle viennent s’ajouter à la réalité déjà exigeante du secteur de l’éducation de la petite enfance. Parfois, il n’est pas possible d’être authentique, car cela peut ne pas être accepté dans le milieu de travail et être perçu négativement. Par exemple, une personne non noire peut se mettre en colère sans craindre d’être étiquetée comme “agressive”, “impolie” ou “non professionnelle”. Il arrive à tout le monde de se mettre en colère au travail. Mais lorsqu’on doit aussi se soucier d’être stigmatisé, comme c’est souvent le cas pour les personnes noires, cela peut être intentionnellement épuisant et affecter votre santé mentale au fil du temps ».
Tonja : « Avec la hausse des crimes haineux et le coût de la vie qui augmente, les choses deviennent difficiles pour beaucoup. Il y a des luttes quotidiennes qui peuvent vous donner l’impression de ne pas être apprécié(e) ou que votre voix ne compte pas. Cela peut limiter vos expériences dans le monde et ajouter un fardeau à votre vie ainsi qu’à celle de ceux qui sous sont chers. Ajoutons à cela les remarques comme : “l’histoire, c’est du passé – il faut avancer”. Ceux qui disent cela ne réalisent pas que le passé continue d’influencer le présent, et qu’un travail de guérison est nécessaire. C’est pourquoi il est essentiel d’intégrer une pédagogie tenant compte des traumatismes dans nos programmes, autant pour les collègues que pour les enfants et les familles. Quand on est une personne noire et qu’on doit expliquer pourquoi un comportement injuste ou blessant n’est pas acceptable, c’est non seulement douloureux, mais aussi épuisant.
On a toujours besoin d’apprendre. Aujourd’hui, l’information n’a jamais été aussi accessible – alors quand quelqu’un ne prend pas le temps de s’informer, le message qu’il envoie, c’est que vous n’êtes pas important(e). Et il est difficile de remplir la coupe des autres quand la vôtre est vide. »
Il est essentiel de continuer à encourager et à faciliter les discussions, l’éducation et la sensibilisation de tous les membres, afin d’être des alliés solides pour les EPEI appartenant à des groupes en quête d’équité.
Les employeurs et les éducateurs qui souhaitent approfondir leur compréhension de l’histoire des Noirs et du racisme anti-Noirs disposent de ressources de soutien, notamment d’une liste de livres pour enfants élaborée par Tonja, Nicole et Deirdra. Ces ouvrages peuvent être lus aux enfants dont ils ont la charge, afin de nourrir des conversations enrichissantes sur la diversité, l’inclusion et le sentiment d’appartenance.
Pour favoriser votre bien-être, vous pouvez également consulter les ressources suivantes :
- Ressources sur le bien-être
- Prendre soin de soi et des autres
- Santé mentale : Un appel à prendre soin de vous et des autres
- Le rôle essentiel des EPEI dans l’amélioration de la santé mentale des enfants : explication de la Dre Jean Clinton
- Plus d’infos de la part de la Communauté des EPE noirs :
Biographies
Tonja rmstrong-MacInnis, lauréate en 2021 du Prix du Premier ministre pour l’excellence en éducation de la petite enfance, possède plus de 30 ans d’expérience à divers postes dans le domaine de l’éducation et de la protection de la petite enfance. Elle a notamment animé de nombreux ateliers intégrant la pédagogie de l’éducation et de la protection de la petite enfance dans une optique d’anti-oppression et antiraciste. Outre son diplôme en éducation de la petite enfance, elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en études de la petite enfance. Elle est directrice du Humber Child Development Centre et responsable de l’unité Every Child Belongs de la Ville de Toronto à Humber, qui se compose de consultants en ressources et d’une infirmière praticienne.
Nicole Cummings-Morgan est une mentore, une militante et une collaboratrice qui crée des liens communautaires. En plus de son titre d’EPEI, elle est également enseignante agréée de l’Ontario, professeure en éducation de la petite enfance, auteure, ainsi que propriétaire et directrice générale de W1derus Educational Workshops Inc. Cette entreprise sociale se consacre à l’organisation d’ateliers personnels et professionnels visant à promouvoir le bien-être holistique des individus à toutes les étapes de leur vie. Nicole est un ancienne membre du conseil d’administration de l’Association of Early Childhood Educators of Ontario et la fondatrice de la Communauté des EPE noirs.
Deirdra Joseph a commencé son parcours d’éducatrice de la petite enfance au Collège Seneca. En tant qu’EPEI, elle était souvent en contact avec les enfants à besoins particuliers, notamment ceux atteints d’autisme. Cela l’a amenée à obtenir son certificat d’enseignante-ressource et à terminer le programme sur l’autisme et les sciences du comportement au Collège Seneca. Elle est également titulaire d’une licence en musique. Elle travaille actuellement pour la Ville de Toronto en tant que consultante-ressource.